Corticoïdes et sport : pour se soigner ou pour se doper ? Posons tranquillement le débat

Présent comme médecin d’équipe sur ce Tour de France 2016, je présente un débat polémique, pas de place pour la langue de bois …

Le contenu de cet article a pour objectif d’exposer une réflexion médicale, mais aussi de prendre le parti des sportifs qui se font voler la victoire par ceux qui trichent.

Corticoïdes et sport : pour se soigner ou pour se doper ? Posons tranquillement le débat

 

Sujet polémique, sulfureux, qui ouvre la porte à la suspicion ….

Les corticoïdes dans le sport, outil de soin ou dopage du … « pauvre » ? Dopage “du pauvre” comparé au probable dopage génétique, qui lui est peu évoqué.

Je vais essayer de poser le débat tranquillement, en conservant ma casquette de médecin

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Un produit corticoïde c’est quoi ? C’est une molécule essentiellement douée de propriétés antiinflammatoires et antiallergiques puissantes.

Notre organisme produit naturellement du cortisol, qui est une hormone ; ce sont les surrénales, petites glandes situées au-dessus des reins, qui assurent cette sécrétion. Nos surrénales produisent surtout le cortisol le matin au réveil, c’est cela qui nous réveille le matin et nous stimule ; pendant l’effort physique cette hormone agit également pour faciliter des processus physiologiques biologiques et hormonaux. En cas de « stress » (maladie, infection, suites d’une chute avec traumatisme) ce cortisol naturel sert à nous défendre.

Un médicament corticoïde peut exister sous plusieurs formes d’administration :

  • Soit par voie « générale » : comprimés, suppositoires, injections (intramusculaire, sous cutanée, articulaire, intraveineuse)
  • Soit par voie locale : pommade, soluté auriculaire (oreilles), pulvérisation nasale, aérosol ou pulvérisation pour les bronches, gouttes ou pommade pour les yeux ; ou péri-articulaire (= infiltration)

Quelle est la règlementation ?

  • L’AMA (Agence Mondiale antidopage, dont la règlementation s’impose à tout sportif) : les corticoïdes locaux sont tous autorisés hors compétition et en compétition ; les corticoïdes administrés par voie générale sont autorisés hors compétition, interdits en compétition.
  • L’AFLD (Agence Française de Lutte contre le Dopage) reprend la règlementation de l’AMA ; elle précise en plus que si un sportif a recours en compétition à un corticoïde local, il doit être en mesure d’apporter la preuve d’une indication médicale cohérente ; cette stratégie me semble tout à fait fondée.

Existe-t-il un risque sur la santé de prendre des corticoïdes ?

  • La prise prolongée et/ou répétée de corticoïdes peut entraîner une fonte musculaire, une perte de tissu graisseux, une rétention d’eau, une perte de capital osseux au niveau du squelette, des troubles électrolytiques (sodium, potassium) ; d’un point de vue neurologique : excitation neuromotrice, euphorie, diminution de la perception de la douleur (ce sont les effets que pourrait rechercher un sportif qui détourne l’usage médical des corticoïdes pour améliorer ses performances)
  • Si une personne prend un corticoïde par voie générale ses glandes surrénales vont freiner un peu ou beaucoup leur production naturelle de cortisol (les surrénales se « reposent » puisque de la cortisone est apportée par voie extérieure) ; mais on peut observer aussi ce phénomène en cas de prise locale de corticoïdes, surtout si les bronches ou les muqueuses nasales ou pharyngées sont enflammées (le produit passe alors plus facilement dans le sang) ; ce ralentissement de production peut faire baisser le taux sanguin de cortisol naturel en-dessous d’un certain taux : « hypocortisolémie ». Si donc le taux naturel de cortisol est abaissé, alors l’organisme se défend moins. Cette hypothèse est celle de nombreux spécialistes endocrinologues, même si elle est contestée par d’autres (en particulier par des spécialistes anglo-saxons). C’est pour cela que le MPCC (Mouvement Pour un Cyclisme Crédible) diligente désormais des contrôles réguliers et des contrôles inopinés du taux de cortisol sanguin ; si un coureur présente des valeurs abaissées par rapport aux normes du laboratoire préleveur, alors il est interdit de départ, pour protéger sa santé. De nombreuses équipes cyclistes professionnelles (dont toutes les équipes françaises) adhèrent au MPCC, d’autres équipes faisant le choix de ne pas adhérer. Seules les équipes qui adhèrent au MPCC font l’objet de cette règlementation et subissent des contrôles inopinés. Le coureur interdit de départ ne pourra reprendre la compétition que lorsque son taux de cortisol sera normalisé. Il s’agit d’une mesure prise pour la santé du coureur, ce n’est pas une mesure anti-dopage. La FFC est « partenaire » de cette réflexion et le médecin fédéral national gère la logistique de ces bilans.
  • Les équipes et structures non adhérentes au MPCC argumentent qu’il n’y a pas de danger à présenter un taux de cortisol sanguin abaissé.

Existe-t-il un moyen de « détourner » l’usage des corticoïdes à des fins de dopage ? Ma réponse est OUI, malheureusement OUI ; on s’accroche, je vais expliquer comment certains pourraient être tentés de tricher, et surtout comment on pourrait fermer très facilement cette « porte d’entrée » du dopage aux corticoïdes.

  • Il existe des corticoïdes locaux (je rappelle que le recours à la prise de corticoïdes locaux en compétition est autorisé par les Instances) qui existent aussi sous forme de comprimés ou d’injections. Si dans les urines d’un coureur on retrouve la molécule du corticoïde, alors, s’il veut tricher,  le coureur pourra dire qu’il a pris ce corticoïde sous forme locale, alors qu’il l’a administré en « micro-injections » ou qu’il l’a pris par voie orale (comprimés ou gouttes) Je ne citerai pas d’exemple précis ; mais par exemple un aérosol nasal existe aussi sous forme injectable ; « radio peloton » évoque que certains coureurs sur un grand Tour pourraient alors s’injecter en sous cutané des micro-doses, à un rythme régulier, juste pour en tirer un bénéfice « sportif » (moins mal aux pattes, moins de symptômes d’allergie, moins d’asthme) ; un autre produit à usage nasal existe aussi sous forme de comprimés.
  • Comment fermer totalement cette « porte ouverte » au dopage ? La solution semble simple. La FFC il y a quelques années avait listé les corticoïdes locaux concernés par cette « substitution » possible, et avait émis une recommandation aux médecins pour ne pas prescrire ces produits. Excellente proposition, que j’ai reprise dans le règlement interne de mon équipe et dans le règlement des équipes amateur dont je suis le médecin référent : interdiction (et non pas simple recommandation) au coureur d’avoir recours à ces corticoïdes locaux qui permettraient à un coureur de me dire qu’un spécialiste lui a prescrit un aérosol nasal qui existe aussi sous forme injectable ; la porte est fermée, point final, il s’agit d’interdire et pas simplement de recommander. Interdire les corticoïdes locaux qui existent sous d’autres formes; bien sûr ne pas interdire les corticoïdes qui n’existent QUE sous forme locale, car le sportif a le droit d’être soigné.

 

 

Juste une dernière précision pour les infiltrations (injection périarticulaire ou tendineuse d’un corticoïde) : le MPCC et la FFC imposent au cycliste professionnel de rédiger une fiche qui atteste de la nécessité médicale de ce soin (résumé médical, échographie, etc.), de la nature du produit injecté, de la dose, de préciser la date, le nom du médecin qui a procédé à l’infiltration ; le cycliste est alors mis en arrêt pendant 8 jours (de toute façon s’il présente une tendinite il n’est médicalement pas apte à courir) ; il ne peut reprendre la compétition que si le contrôle du taux sanguin de cortisol retrouve des valeurs normales.

Loin de mon intention l’idée de polémiquer ; on a le droit de soigner un sportif ; de nombreux sportifs présentent des allergies et/ou un asthme ; penser qu’un sportif qui prend un corticoïde local est un sportif qui cherche à améliorer ses performances est une ineptie qui revient en boucle dans les propos de ceux qui vivent de la com sur le dopage et pour qui tous les cyclistes sont dopés. Ce n’est pas à eux que s’adresse cet article, mais à ceux qui doivent comprendre que pendant un effort maximal le sportif ventile 40 fois plus qu’au repos et donc qu’il capte 40 fois plus de pollens ou autres allergènes et donc qu’il peut présenter des symptômes d’allergie bien plus violents qu’une personne sédentaire. Notamment pour l’asthme, je développe dans un article « tout savoir sur asthme et sport » une réflexion adaptée au sport.

Le médecin d’équipe est présent pour un suivi médico-sportif adapté, pour la santé du sportif, dans le respect d’une éthique sportive et médicale ; juste il faut veiller à ce que certains sportifs ne cherchent pas à nous « piéger » … Que ceux qui pensent que le médecin d’équipe est là pour doper gardent leurs certitudes ; pour certains il s’agit d’un fond de commerce à défendre, il faut bien que tout le monde vive ; pour d’autres, certains médias ont sculpté dans leur cerveau que le cycliste ne peut pas faire le Tour de France sans se doper. Mes propos ne s’adressent qu’à ceux qui sont aptes à comprendre la réalité d’une réflexion médicale neutre et objective, axée sur la seule problématique de la santé du coureur.

Je termine ma réflexion en précisant que le code de l’AMA stipule que tout sportif est responsable de ce qui rentre dans son organisme ; une fois de plus je conseille à tout sportif, avant de prendre le moindre médicament, de consulter l’excellent site de l’AFLD https://medicaments.afld.fr/ Tous les sportifs doivent connaître ce site et l’interroger au moindre doute ; beaucoup de sportifs se retrouvent positifs à un contrôle sans intention d’avoir triché : négligence de leur part ou de leur médecin ; au sportif de vérifier.

Un grand merci pour votre fidélité sur ce site ; plus de 7 millions d’internautes l’ont déjà visité. La vocation de ce site est d’évoquer avec un langage simple les aspects de la médecine du sport et de la nutrition du sport, en collant au terrain ; sur d’autres sites, gérés par d’excellents spécialistes de la médecine du sport, vous trouverez des réflexions plus documentées et scientifiques.

Bien à vous,

Jean-Jacques

 

Sur un autre site je propose des séances de sophrologie à télécharger, à destination du sportif, dans plusieurs indications : gestion du stress, préparation mentale d’un objectif, troubles du sommeil, gestion d’une période d’incapacité pour blessure, comment mieux récupérer, la microsieste, correction d’un geste sportif ; cette découverte de cet outil de gestion du mental amènera peut-être certains sportifs à bénéficier d’une prise en charge personnalisée avec un thérapeute de proximité.